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Mes Pérégrinations

Opinions, Poèmes, Réflexions,

Stabilité sociale au Sénégal : une stratégie religieuse performante

Stabilité sociale au Sénégal : une stratégie religieuse performante

Le Sénégal a la particularité d’être une démocratie un peu à part, où la laïcité est certes inscrite dans sa charte fondamentale, mais souvent éclipsée par le poids de la religion. Si cela est contraire au principe de la démocratie, il n’en demeure pas moins que cette situation a grandement contribué à la stabilité politique qu’on lui connaît, dans une Afrique des coups d’Etat et des coups bas.

Ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest s’illustre par une stabilité politique jamais connue dans une république où la quasi-totalité de la population est musulmane.

Comment a-t-il échappé aux coups d’Etats, aux soulèvements populaires sanglants et à la décolonisation forcée ? La religion musulmane et plus particulièrement la culture soufie ont joué un grand rôle dans la réalisation et le maintien de l’unité nationale.

Retour sur l’histoire de la religion musulmane et les faits marquants de l’évolution culturelle de la société sénégalaise.

L’islamisation du pays

La religion musulmane est entrée au Sénégal depuis le XIème siècle suite à l’entreprise du mouvement almoravide d’islamiser l’Afrique noire. Si ce mouvement n’a pas vécu longtemps pour conquérir les empires, l’Islam a survécu et s’est installée avec l’adhésion des populations à la religion. L’empire du Djolof a vu en son sein diverses religions et rites en cohabitation : Islam, Catholicisme, Animisme, Religion Sérère, Religions traditionnelle, le Boukout etc…

Avec le nomadisme des toucouleurs et peulhs du nord et de l’est du pays, l’expansion de la religion musulmane n’a jamais connu d’arrêt. Si L’exploitation économique et la domination politique du territoire a tardé, la religion musulmane a survécu avec l’activité des confréries soufies importées notamment la Tidjaniya et la Khadriya mais aussi avec la naissance de nouvelles confréries soufies purement sénégalaises, le Mouridisme et les Layennes

Pour le colon, il était temps de mettre en place la cartographie chrétienne avec la mise en place de diocèses dans les territoires conquis. Dans ce sens, L’église de Saint-Louis et de Gorée ont été construites respectivement en 1828 et 1830. Cette assimilation culturelle devait accompagner l’exploitation économique du Sénégal mais la résistance a duré tout le XIXème siècle. Diviser pour mieux régner, telle fut la devise du colon. Face à ce système, il devint impossible de réunir des foules considérables pour une quelconque activité. S’en suivît l’instauration de chapèles et d’églises pour prêcher « la bonne parole » aux citoyens (des 4 grands départements) et ensuite aux indigènes de l’intérieur du territoire.

La lutte contre l’évangélisation

L’exploitation d’un territoire doit se faire avec l’assurance d’une stabilité sociale et le control des soulèvements populaires. Ainsi tout soupçon de soulèvement ou de mobilisation peut engendrer une sanction pour les supposées responsables.

El Hadj Malick Sy, conscient du fait que le colon craignait les rassemblements, a quitté une localité plus isolée (Ndiarndé) pour aller dans une ville carrefour : Tivaouane (passage du train et chemin liant Dakar à Saint Louis). Assurant l’autorité coloniale de son désintérêt pour la résistance armée et les activités politiques, il a obtenu l’autorisation de construire des Zawiya à Saint Louis, à Tivaouane et à Dakar. Ce leader dans la confrérie Tidiane a adopté comme stratégie l’enseignement des valeurs de la religion musulmane, l’autonomie de ses disciples dans les différentes contrées du territoire et même au-delà et le rapprochement avec les autorités coloniale pour témoigner de la bonne foi de ses activités. Le seul rassemblement dans l’année est pour la célébration de la naissance du prophète.

De l’autre côté, le Mouridisme s’est développé au centre du pays avec une autre forme d’éducation. Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie mouride, a concentré ses activités sur l’éducation, la célébration du prophète et l’adoration de Dieu. Du fait de l’installation de ses Cheikhs dans de nouvelles localités sous sa demande, de leur connexion permanente avec la ville sainte où vivait le saint homme, l’autorité coloniale a soupçonné une rébellion rampante. C’est dans ces circonstances que son arrestation puis sa déportation est orchestrée. Cependant, il s’était préparé à un tel événement. C’est une tradition dans la religion musulmane que d’avoir un leader dans la voie qu’on choisit. Au-delà des écoles, il y a aussi les sages de notre temps qui sont des références par leur comportement et leur sagesse : c’est une recommandation du prophète. C’est dans cette continuité du leadership de la voie que Cheikh Ahmadou Bamba a choisi ses représentants temporaires durant son absence.

Cependant, cette décision est vue par la force coloniale comme une tentative de maintenir un réseau dont les aspirations sont encore suspectes comme l’atteste leur rapport : « Il ressort clairement du rapport que l'on a pu relever contre Ahmadou Bamba aucun fait de prédication de guerre sainte, mais son attitude, ses agissements, et surtout ceux de ses principaux élèves sont en tous points suspects. »

C’est après une vingtaine d’années que la force coloniale l’a libéré puis admis s’être fait une fausse idée des aspirations du Cheikh. Par contre, Cheikh Ahmadou Bamba a toujours pris cette épreuve comme une bénédiction de Dieu, l’occasion de démontrer sa dévotion totale envers son Créateur et d’œuvrer dans la continuité de la mission du prophète Muhammad (PSL)

C’est dans ce sens qu’il a refusé la légion d’honneur. Le vrai cadeau est la popularité gagné depuis le début de la construction de la grande mosquée de Touba, ville où il a été inhumé.

Le Sénégal avant et après indépendance se présente ainsi :

-d’une part la confrérie Tidiane basée sur l’autonomie des petites maisons et la promotion de la connaissance et l’ouverture à l’éducation française, une vie de la religion tout en étant en symbiose avec son temps. Dans cette confrérie, l’Islam est vécu et surtout mis à l’épreuve de notre époque.

-d’autre part, la confrérie mouride, de plus en plus populaire devient une force centripète avec une soumission totale à un des Cheikhs de la confrérie ou au Khalif. Le Khalif des mourides est le guide spirituel et temporel qui s’exprime sur les sujets d’actualité, suggère des prières et ordonne des activités aux disciples.

C’est dans ce climat que le Sénégal est né. Un pays composé de minorités qui se respectent et surtout ouvert au dialogue depuis toujours. C’est dans cette optique que le choix a été fait de ne pas prendre la religion islamique comme référent constitutionnel (le pays demeure un Etat laïc) et surtout la dissociation entre les croyances et la responsabilité.

Ce n’est pas anodin qu’un non musulman ait dirigé le pays pendant 20 ans et avec le soutien des familles religieuses musulmanes. De même il n’est pas négligeable le poids joué par la religion dans l’optique d’une évolution sociale qui requiert parfois des concessions ou des lectures différentes de la tradition Islamique. Le Sénégal jouit d’une exemplarité dans la liberté de conscience, dans l’octroi des droits aux minorités et dans l’égalité des genres.

S’il y a une remise en question de l’authenticité des pratique religieuse par rapport à l’héritage culturel du Prophète Muhammad, force est de reconnaître que ce système a joué un grand rôle dans le maintien de la paix au moment où d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest s’embrasaient. Le mérite revient aussi à l’honnêteté des premiers hommes à avoir tenu le destin du jeune pays (56 ans) et aussi à une armée détachée des aspirations politiques. Mais toujours en regardant loin, la quasi-totalité de la population musulmane à une référence religieuse qui exprime sa satisfaction et son souhait de toujours opérer un changement de manière pacifique. Presque chaque citoyen est le disciple d’un Cheikh soufi et de par qui il prend garde de ne jamais affaiblir le bateau que toute la nation partage: celui de la paix.

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